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"Mes
fenêtres", années 2004 à 2007.
Ce qui touche c’est
quelque chose d’une intimité qui se pose à la surface. L’image extrait
quelque chose, une intimité une force.
Jean Luc Nancy
C’est
sur l’idée de la naissance de l’intime que j’oriente ma démarche, d’un
« chez soi »selon l’écrivain et psychanalyste Gérard Wajcman, défini par
le champ du regard où le sujet est soustrait au regard de l’autre, un
lieu hors de l’autre. Deux questionnements ont trouvé écho à ma
recherche, l’idée d’ouverture, la formule tracer un cadre et ouvrir une
fenêtre où réside la dialectique du montré caché, et la question de la
limite.
« Tracer un quadrilatère sur une surface,
c’est ouvrir une fenêtre. Le peintre est d’abord un créateur de
bords, de trous et de bouche-trous. Tracer un cadre c’est à la
fois faire un trou ouvrir une fenêtre et extraire un pan de mur.
L’instauration du tableau c’est l’extraction ».
C’est donc cette idée de prélèvement qui
m’intéresse, cette décontextualisation, une invention du caché, le
tableau, où l’image pris à la lettre soustrait une portion du continuum
visible et posant la question de ce qu’il y a derrière, présente une
injection d’absence dans le visible. Le non vu peut-être défini comme
la face cachée des choses, telle que les cubistes ont tenté de la
révéler, mais aussi comme les bords de l’ouverture. En effet, suite à
l’extraction il y a présence d’un trou colmaté par du visible entouré de
bords, les bords étant admis comme hors-cadre.
L’extraction paradoxalement crée l’ouverture,
et suggère une partie cachée, l’extraction peut-elle donner naissance à
l’intime ? Il se pose la question du devenir de ce prélèvement. Est-ce
là l’aube d’une itinérance selon un principe de déterritorialisation ou
la mise en route d’un principe de construction et déconstruction. Il se
pose de plus la question du trou et de ces bords, de cette partie
secrète non pénétrable du regard de l’autre.
Entre identité et altérité, j’œuvre dans le
double jeu de la fenêtre, fermée sur l’intime ouverte sur l’autre. C’est
sur la peau, organe profond, contact entre soi et le monde comme le cite
Christine
Buci-Gluckmann,
« Peau du monde et peau du soi, contacts de plans et d’empreintes »…
que j’empreinte la trace de l’autre.
C’est en premier lieu cette présence à l’autre
qui permet la photographie. D’où l’ouverture et la coupure ou
prélèvement qui instaure l’image.
« Le photographe au moment où il déclenche
l’obturateur s’ouvre littéralement au monde, c’est la connexion où il
est avec le monde qui permet la coupure ».
La
dialectique du montré caché est l’événement conducteur de mon travail,
un travail photographique sur la peau, peau comme métonymie synecdoque
du corps, je propose donc un travail de coupure, de prélèvement de peau
de l’Autre, par le cadrage photographique, en répondant à cette pulsion
de voir. Je crée une ouverture et l’instauration du visible.
Ouvrir une fenêtre pour satisfaire le désir
de voir.
Un
travail de prélèvement pour un souci d’une esthétique taxinomique, mais
aussi prendre la peau de l’autre pour créer les miennes picturales et
photographiques.
Cependant la partie intime de mon travail se situe non seulement dans
la focalisation de ce vu par l’image macroscopique, le regard tendu vers
ce qu’il ne peut pas voir, une transgression, mais aussi dans la
limite. L’ouverture focale laisse le passage de la lumière et prélève la
trace de l’autre, au plus prés. L’œil touche la peau de l’autre, et pose
la question de la distance à l’autre, lieu de désir et de séduction,
la fenêtre est un lieu d’échange,
la fenêtre photographique, lieu de l’intime, mais aussi limite du
montrable, l’intimité entre voile et dévoilement.
Le
récit et la mise à nu deviennent alors ceux des autres à l’instar du
travail de Sophie Calle,
notamment, les photos des dormeurs, lieu intime d’échange d’intimité.
BIBLIOGRAPHIE
BUCI-GLUCKSMANN Christine, L’œil cartographique de l’art,
Paris, Éditions Galilée 1996.
CALLE Sophie, M’as-tu vue, Centre Pompidou, Xavier Barral,
Arles, Actes Sud, 2003.
TISSERON
Serge, Le mystère de la chambre claire, photographie et
inconscient, Paris Les Belles Lettres, 1996.
WAJCMAN, Gérard, Fenêtre (Chronique du regard et de l’intime),
Lagrasse, Éditions Verdier,
Objet du siècle, Lagrasse,Verdier,1999.
Jean-Luc NANCY, Au fond des
images, éditions Galilée, Paris, 2003
BUCI-GLUCKSMANN Christine, L’œil cartographique de l’art,
Paris, Éditions Galilée, 1996, p 89 à 90
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