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vers mes peaux

Fenêtres

 

"Mes fenêtres", années 2004 à 2007.

Ce qui touche c’est quelque chose d’une intimité qui se pose à la surface. L’image extrait quelque chose, une intimité une force[1]. Jean Luc Nancy

 C’est sur l’idée de la naissance de l’intime que j’oriente ma démarche, d’un « chez soi »selon l’écrivain et psychanalyste Gérard Wajcman, défini par le champ du regard où le sujet est soustrait au regard de l’autre, un lieu hors de l’autre. Deux questionnements ont trouvé écho à ma recherche, l’idée d’ouverture, la formule tracer un cadre et ouvrir une fenêtre où réside la dialectique du montré caché, et la question de la limite.

«  Tracer un quadrilatère sur une surface, c’est ouvrir une fenêtre. Le peintre est d’abord un créateur de bords, de trous et de bouche-trous. Tracer un cadre c’est à la fois faire un trou ouvrir une fenêtre et extraire un pan de mur. L’instauration du tableau c’est l’extraction[2] ».

C’est donc cette idée de prélèvement qui m’intéresse, cette décontextualisation, une invention du caché, le tableau, où l’image pris à la lettre soustrait une portion du continuum visible et posant la question de ce qu’il y a derrière, présente une injection d’absence dans le visible. Le non vu  peut-être défini comme la face cachée des choses, telle que les cubistes ont tenté de la révéler, mais aussi comme les bords de l’ouverture. En effet, suite à l’extraction il y a présence d’un trou colmaté par du visible entouré de bords, les bords étant admis comme hors-cadre.

L’extraction paradoxalement crée l’ouverture, et suggère une partie cachée, l’extraction peut-elle donner naissance à l’intime ? Il se pose la question du devenir de ce prélèvement.  Est-ce  là l’aube d’une  itinérance selon un principe de déterritorialisation ou la mise en route d’un principe de construction et déconstruction. Il se pose de plus la question du trou et de ces bords, de cette partie secrète non pénétrable du regard de l’autre.

Entre identité et altérité, j’œuvre dans le double jeu de la fenêtre, fermée sur l’intime ouverte sur l’autre. C’est sur la peau, organe profond, contact entre soi et le monde comme le cite Christine Buci-Gluckmann, « Peau  du monde et peau du soi, contacts de plans et d’empreintes[3] »… que j’empreinte la trace de l’autre.

C’est en premier lieu cette présence à l’autre qui permet la photographie. D’où l’ouverture et la coupure ou prélèvement  qui instaure l’image.

« Le photographe au moment où il déclenche l’obturateur s’ouvre littéralement au monde, c’est la connexion où il est avec le monde qui permet la coupure[4] ».

La dialectique du montré caché est l’événement conducteur de mon travail, un travail photographique sur la peau, peau  comme métonymie synecdoque du corps, je propose donc un travail de coupure, de prélèvement de peau de l’Autre, par le cadrage photographique, en répondant à cette pulsion de voir. Je crée une ouverture et l’instauration du visible. Ouvrir une fenêtre pour satisfaire le désir de voir[5].

Un travail de prélèvement pour un souci d’une  esthétique taxinomique, mais aussi prendre la peau de l’autre pour créer les miennes picturales et photographiques.

Cependant  la partie intime de mon travail se situe non seulement dans la focalisation de ce vu par l’image macroscopique, le regard tendu vers ce qu’il ne peut pas voir, une transgression, mais aussi dans la  limite. L’ouverture focale laisse le passage de la lumière et prélève la trace de l’autre, au plus prés. L’œil touche la peau de l’autre, et pose la question de la distance à l’autre, lieu de désir et de séduction, la fenêtre est un lieu d’échange[6], la fenêtre photographique, lieu de l’intime, mais aussi limite du montrable, l’intimité entre voile et dévoilement.

Le récit et la mise à nu deviennent alors ceux des autres à l’instar du travail de Sophie Calle[7], notamment, les photos des dormeurs, lieu intime d’échange d’intimité.

BIBLIOGRAPHIE

BUCI-GLUCKSMANN Christine, L’œil cartographique de l’art, Paris, Éditions Galilée 1996.

CALLE Sophie, M’as-tu vue, Centre Pompidou, Xavier Barral, Arles, Actes Sud, 2003.

 TISSERON Serge, Le mystère de la chambre claire, photographie et inconscient, Paris Les Belles Lettres, 1996.

WAJCMAN, Gérard, Fenêtre (Chronique du regard et de l’intime), Lagrasse, Éditions  Verdier,

Objet du siècle, Lagrasse,Verdier,1999.


[1] Jean-Luc NANCY, Au fond des images, éditions Galilée, Paris, 2003

[2] Idem

[3] BUCI-GLUCKSMANN Christine, L’œil cartographique de l’art, Paris, Éditions Galilée, 1996, p 89 à 90

[4] TISSERON Serge, le mystère de la chambre claire, photographie et inconscient, Paris, Les Belles Lettres, 1996, p 58

[5] WACJMAN Gérard in fenêtre, idem p 392

[6] Idem, p 453

[7] CALLE Sophie, M’as-tu vue, catalogue Centre POMPIDOU,   Xavier BARRAL, Arles, Actes Sud , 2OO3