Série « Mes peaux »
« La peau est l’éternel champ de bataille
entre soi et l’autre et surtout l’autre en soi. »
cite David le Breton, c’est entre l’autre et
soi que la peau, passage du sens du monde et seuil de son chaos, surface
et profondeur, m’a permis d’élaborer ma recherche. Fondé sur un principe
répétitif, et par extension de la série et du simulacre, mon travail
plastique s’obstine dans l’espace de l’entre deux. Dans l’appréhension
de la distance, qui va fonder la dialectique de proximité et
d’éloignement, d’apparition et de disparition. Dans ce mouvement
s’installe la distance perspective et donc la profondeur d’un paradigme
sensoriel. J’ai cherché dans mon travail à sensibiliser la matière à
engendrer des phénomènes d’imprégnation, de pigmentation, de grain,
d’innervations allant à la manifestation quasiment physiologique d’une
vie cutanée à fleur de peau. Cette peau métaphorique que je parcours à
travers ces lignes identitaires, tout comme je suis les fils de mes
trames qui se croisent et s’entrecroisent, s’épaississent ou
s’amenuisent, s’étirent ou se resserrent, une surface mouvante,
incertaine, un doute.
Ma démarche artistique est tissée par le désir
du dévoilement de l'être où le fragment s'impose comme
appréhension d'autrui, autre moi-même. Une identité accomplie de la
différence.
Le
toucher du regard est une sensation photographique, un jeu entre
distance et approche de l’autre. C’est ce qui demeure très paradoxal
dans la macro photographie cette notion, à la fois de mise à distance et
d’approche du sujet montré. Je vais m’inscrire dans cet écart du voir et
du toucher où cette vision tactile appelle vers elle une attirance pour
le corps jusqu'à pénétrer sa chair.
C'est par le regard que je touche la peau de
l'autre et que je la pénètre pour y déceler toute son énigme, toute son
étrangeté, cette énigme de l’apparaître comme corps voyant et visible à
la fois.
La photographie est une empreinte à distance,
elle est située dans une tension spatiale qui implique l’absence de tout
contact direct entre l’imprégnant et l’empreinte.
Par l'acte de la macro photographie cette
empreinte de l'autre devient trace, et j'empreinte la trace de l'autre
pour construire ma peau, mes peaux. La conscience de moi par l'autre,
"L'autre désigné par la notion d'altérité est donc défini par une
différence présupposant d'abord la ressemblance."
Je décontextualise l’image du corps dans un
cadrage fragmentaire macro-photographique. J’isole la partie d’un
ensemble pour focaliser l’attention sur elle. Une valeur métonymique qui
touche au symbolique. La vision de proximité souligne les détails
jusqu’aux pores de la peau, pores, poros signifiant passage une envie de
pénétrer à l’intérieur. Dans la progression lente et les étapes
successives de grossissement, l’image se modifie et va vers la perte du
sujet dans une sorte de défiguration.
L’écriture du gros plan montre un détail qui peut et doit suggérer un
ensemble plus vaste auquel il est lié, toute une histoire à laquelle il
est rattaché Une métonymie synecdoque par sa fonction laisse le lecteur
à son imagination tout en l’orientant par une série de connotations
allant dans un sens déterminé et intentionnel.
J'observe un corps entier et un détail m’attire et c'est par lui que je
tente d'entrer à l'intérieur ou de faire resurgir cette intériorité cet
invisible à la surface. Le cadrage focalise et grossit ce point
et chaque fois que mon index m’autorise à pénétrer dans l’image, je
découvre l’inaccessible et poussée vers cette invisibilité je démesure
le point jusqu'à le perdre et le visible devient invisible.
Suivant la variation de la distance des
événements apparaissent, un basculement du régime visuel en passant de
la chose représentée à la conscience de sa matière
Dans
l’analyse de mon processus, il est primordial de garder une trace aussi
infime soit-elle d’une production pour en reconstruire une autre. Ce
détail, mémoire du précédent, emprunt à l’autre devient empreinte de ce
fragment ou de ce nouveau cadrage, un principe de mise en abyme
perpétuel opéré par l’œil
Au détour d’un chemin, happée par un petit détail, un déclic
photographique l’extirpe du monde réel, mue d’une transfiguration de sa
banalité, l’image m’est donnée comme une source de voyage imaginaire un
accès au rêve une liberté d’agir, un voyage du monde extérieur vers un
monde intérieur livré d’émotions.
Et c’est d’écrire de transmettre par la
peinture cet indicible cet invisible et lui redonner par les trames et
les matériaux, matière et tangibilité. Le regard en mouvement cherche
l’endroit de coupure, ce fragment de l’image saisie sur le vif va partir
dans une itinérance et tenter de nouvelles intégrations entrer dans une
autre image dans un mouvement de déconstruction.
Les nouveaux médias me donnent accès à la
métamorphose je pourrai par mille subterfuges modifier, déformer, étirer
cette image ou autre mais je la garde intacte je veux seulement la
pénétrer et déceler ce qu’elle cache, c’est le recadrage et la
focalisation d’une partie qui sera grossi à l’extrême c’est par
l’artifice de la macro photographie que je creuse l’apparence de
l’image.
Je mets en écho la photo et la peinture l’une
se nourrit de l’autre mais j’ai besoin de les mettre en confrontation.
Dans une série j’intègre mes photographies à la peinture mais chacune ne
prend sa place que dans une dualité. La photo montre trop et ne prend
sens que dans un certain effacement, je les recouvre pour une
dé–identification, cette opération de recouvrement par la peinture offre
une certaine illisibilité de la photographie la perte de sa
représentation et il n’en reste qu’un résidu, qui se révèle en une
nouvelle matière qui fait lien.
C’est justement ce qu’y parasite la photo
c’est son plein de détails et paradoxalement c’est en se focalisant
dessus que l’on va vers sa disparition
La matière sensorielle, le grain de la photo
est l’objet intentionnel de l’image. L’image n’est plus représentation
mais donation de matière dans sa sensorialité.
Le sens
de la distance est transformé par la macro photographie amenant le
spectateur à une proximité psychique, une intimité. De plus elle
matérialise littéralement le touché visuel accentuant la surface de
l’image, Il y a une tendance vers l’abolition de cette distance dans la
mesure ou la surface photographique semble se confondre avec la peau
elle même, un débordement dans l’image."Une photo épidermisée
"
Un
corps vivant vu de trop près et sans aucun fond sur lequel il se détache
n’est plus un corps vivant, mais une masse matérielle aussi étrange que
les paysages lunaires
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