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Mes fruits |
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Série mes fruits 2008-2009
« À l’enterrement d’une primeur morte », installation en résonance avec une sépulture, et un jardin de « Boiscommun ». À l’instar de Marcel Duchamp lors de son élevage de poussière pris en photographie en 1920 par Man Ray, je décide d’élever la moisissure de fruits et légumes. Le temps et le processus sont mis en œuvre. Dans l’attente, j’observe et prends régulièrement des photos de la progression lente de leur expression flétrie, et de leur contamination totale par la pourriture vers une esthétique du laid, pour s’inscrire dans la trajectoire de la finitude. « Le temps serait-il notre laideur intime ? » comme le cite Michel Ribon[1], la laideur serait aussi l’écriture du temps sur la créature humaine, l’usure, le vieillissement, la corrosion. Dans l’expectative, je scrute les effets du temps sur leur peau, les signes de leur mutation vers une défiguration. Pendant une année, je regarde ces métamorphoses, je les magnifie et les esthétise dans un couple antinomique d’attirance et répulsion, de vie et de mort. J’ai cultivé avec attention ce jardin rempli de surprenantes couleurs, de plis, jusqu’au moment où j’ai décidé leur mort dans une embellie par l’acte de la photographie. Tels des portraits, ces photos s’expriment sur fonds colorés, et s’affichent comme tels, portraits de primeurs sans figuration de visage mais avec une expression qui tend à leur personnification Ces fruits et légumes portraitisés donnent à voir une chronique du temps et leur dégradation jusqu’à la mort, une métaphore de la dégénérescence humaine. C’est par le biais de la macrophotographie que je creuse l’apparence de l’image. Je crée un espace polysensoriel où le rapprochement, l’accentuation de la texture, produit des émotions. Une dialectique de l’apparence et de l’essence. Ma démarche est portée par un mouvement répétitif à l’intérieur de ma production sérielle, une mise en abîme de la série et de la répétition. Ce qui semble paradoxal c’est que partant dans l’idée de capter, d’observer, de scruter les détails, il y a toujours quelque chose qui nous échappe. Ce n’est pas cet écart avec la réalité qui m’importe, mais ce « non vu » révélé par la photographie. Ce « non vu » nourrit le prochain travail photographique. Chaque photo, ou chaque toile est une réminiscence d’une production précédente, ainsi une nouvelle série fait ré-émerger un pan du passé, une mémoire. Le passé lui-même est répétition par défaut et prépare cette autre répétition constituée par la métamorphose dans le présent[2]. Pics de fruits, ou mort indubitable, installation de 17 petites sculptures (stoppage en résine) montage sur pic en bois et bloc de mousse peint, 2008-2009 Cette série est en résonance avec les photographies de « l’enterrement d’une primeur morte ». Le stoppage de l’usure se fait sur les fruits et légumes réels. Ils sont transpercés dans une ultime mise à mort et enduits de résine pour figer le temps sur leur peau. Pris en photo, ils défilent sur le papier telles des notes de musique et résonnent comme un requiem « d’une primeur morte ». [1] Michel Ribon, l’archipel de la laideur, essai sur l’art et la laideur, éditions Kimé, Paris, 1998 [2] Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, Paris, 1968
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