|
Mes mains |
|
Série mes images « contacts », Mains 2008 Ce sont des images qui imposent à la distance optique un quelconque symptôme d'adhérence en sorte que nous puissions sentir toucher notre voir.[1] Georges Didi-Huberman C’est en quelque sorte forcer l’incommunicabilité, c’est approcher la mise à distance de l’autre. La main organe du toucher qui entre en contact avec autrui, instrument de communication, se connecter au monde. Aujourd’hui c’est une connexion Internet, un tissu électronique, une toile mondiale qui nous relient à distance… ces connexions virtuelles sont elles suffisantes à établir un contact ? Le cadrage resserré rend possible le morcellement du champ perceptif, les montées en surfaces des gros plans, ce à quoi la vision ne peut accéder, seulement par le biais de la macro photographie. Suivant la variation de la distance des événements apparaissent, un basculement du régime visuel en passant de la chose représentée à la conscience de sa matière. Dans cet interstice de l’optique, haptique, je frôle les limites, au bord de la transgression, suscite l’approche du spectateur et le mets en questionnement face à une image duplice. Jean Luc Nancy évoque dans le fond des images[2] le toucher l’autre, « le toucher sans tact ». Dans sa polysémie, mes mains sont organes du tact, mais aussi langage, et porteuse d’expression humaine, le jaillissement d’une intériorité. Elles sont portraits, la représentation ressemblante d’une personne, « elles sont douées d’une physionomie, visage sans yeux et sans voix mais qui voient et qui parlent »[3]. Dans le toucher la main semble rester à la surface des choses mais il est question d’une expérience sensible des plus profondes Ce qui touche c’est quelque chose d’une intimité qui se pose à la surface. L’image extrait quelque chose, une intimité une force. S’agit-il de ce que Christian Bonnefoi[4] nomme « extravagance » ? ce qui sort de la surface, un dégagement, une vibration visuelle, une sortie de soi, quelque chose que la visualité ne peut pas montrer. Le cadrage focalise et grossit ce point et chaque fois que mon index m’autorise à pénétrer dans l’image, je découvre l’inaccessible et poussée vers cette invisibilité je démesure le point jusqu'à le perdre. La proximité ne se définit pas comme une réduction absolue de la distance, pour une relation totalisée unie dans un tout, mais désigne plutôt ce léger éloignement toujours maintenu, cette distance qui me permet de saisir l’autre dans sa singularité avec le maintien de notre relation. Elle est à la fois le lien à l’autre et le maintien de sa séparation. Je décontextualise l’image du corps dans un cadrage fragmentaire macro-photographique. J’isole la partie d’un ensemble pour focaliser l’attention sur elle. Une valeur métonymique qui touche au symbolique, une métonymie synecdoque par sa fonction qui laisse le lecteur à son imagination tout en l’orientant par une série de connotations allant dans un sens déterminé et intentionnel. J'observe un corps entier et un détail m’attire et c'est par lui que je tente d'entrer à l'intérieur ou de faire resurgir cette intériorité, cet invisible à la surface. Cette présence est visible et plus forte par l’accentuation de la texture. L’image devient tactile et suscite les sens. Tout comme le grain de la photo peut devenir l’objet intentionnel de l’image, l’image n’est plus une représentation mais donation de matière sensorielle De l’empreinte tégumentaire macro photographique, empreinte à distance, dans le paradoxe d’une adhérence sans tact, je cherche une matière de présence à l’image.
[1] Georges Didi-Huberman, in Phasmes, essai sur l'apparition, les éditions de minuit, Paris, 1998 [2] Jean-Luc Nancy, Au fond des images, éditions Galilée, 2003 Paris, [3] Henri Focillon, Vie des formes suivie de l’éloge de la main, éditions librairie Ernest Leroux,1943, Paris [4] Intervention de Christian Bonnefoi, invité de l’Interface du 26 avril 2006, Sorbonne, Paris.
|